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The Belgian magazine Rekto Verso recently ran a review of my book by Mia Vaerman (in Dutch) with the title “Terug naar het wildebeest in ons” (“Back To The Wildebeest In Us”). That piece has now been translated into French by Annelies Hollewand and Adrian Gandolfo – to whom, many thanks.

Redécouvrir notre côté sauvage

On attache trop d’importance à nos réflections / pensées et pas assez à nos intuitions / sentiments, argumente le philosophe Brittanique JT dans How to Thrive in the Next Economy, livre plein d’analyses et de propositions alternatives. L’éducation et la civilisation nous ont éloigné de nos connaissances vitales. En mettant trop l’accent sur le language, sur les chiffres et sur l’art, on garde le monde réel à une distance de sécurité. Pour avancer, selon Thackara, nous devons renouer des liens avec les autres et avec la terre. Il nous faut redécouvrir notre côté sauvage.

John Thackara se décrit comme conteur d’histoires, mais ses études de philosophe le font analyser les vraies causes de la catastrophe écologique et économique qui se présente à nous. Pourquoi regarde-t-on la crise mondiale sans réagir et sans agir ? L’auteur en donne quatre raisons : le problème est invisible, le problème est lointain, nous n’écoutons plus nos sens, et nous sommes devenus “éduqués” / “formatés”.

La plupart des livres s’arrêtent aux constats, mais Thackara va plus loin. Il y a quelques années, il a délibérément abandonné son regard de pessimiste, et préfère adopter une attitude pragmatique plutot que des discours théorétiques. Aujourd’hui, il se concentre sur l’économie alternative et les solutions concrètes : des ruches en ville au développement d’une solution internet pour partager un fromage fermier ou une camionnette, depuis l’Albanie jusqu’au Zimbabwe.

Sur Doors of Perception, son blog et plateforme de conférences, il met en avant les chefs de projet créatifs qu’il rencontre pendant ses voyages. Dans How to… il rassemble leurs idées principales.  Tous les domaines importants sont passés en revue: l’énergie, la terre, l’eau, les vêtements, la nourriture, l’habitat, les transports, la santé et le revenu. Les solutions proposées sont des plus communes aux plus complexes.

Modifier la ville
En un mois, l’homme moderne utilise plus d’énergie et de ressources que ses arrière-grand-parents dans toute leur vie. Pendant des siècles, on s’est imaginé la terre comme une source infinie de matières premières. Pourtant, cette économie basée sur la croissance, à’ l’origine de notre progrès, ronge les hommes et entre en dépression. ‘Il n’y a pas d’alternative’, soupire la politique. JT montre que si. Selon le philosophe, Brittanique l’économie du futur est basée sur l’énergie sociale et sur seulement 5% des ressources de la terre. Mais par où commencer ?

Faire revenir la nature en ville est décidemment la proposition la plus inspirante du livre. Thackara l’appelle ‘rewilding the city’ : la ville devrait faire partie de la nature et ne pas en être séparée. Les fissures dans le goudron ainsi que les bâtiments abandonnés et les parkings sont les endroits par excéllence pour les semences sauvages, les abeilles et les oiseaux. Les bâtiments respirent et renferment de la vie, et même le mur le plus solide héberge des micro-organismes. Plus on regarde de près, moins on distingue la limite entre la vie et l’inerte. En laissant la nature se développer et en libérant des espaces verts, il est possible de mettre en place un réseau d’agriculture urbaine et sub-urbaine. Thackara n’en voit pas seulement le potentiel écologique, mais également le potentiel social. Il est convaincu que le futur devrait être plus social, ne serait-ce que pour se sentir moins seul dans la grande ville.

How to Thrive in the Next Economy…  montre un éventail d’alternatives créatives. Les activistes de Urban Cannibalism ouvrent le béton en ville, afin de mettre à nu la terre pour laisser passer la verdure. D’autres (y inclus des architectes connus) s’activent pour la réutilisation des structures existantes au lieu de construire du neuf. D’autres encore, nous apprennent comment revitaliser le sol pour qu’elle retrouve ses richesses d’antan (une cuillère à soupe de terre peut compter 50 milliards de micro-organismes), ou comment refaire passer les cours d’eau à leurs voies d’origine. Thackara a étudié comment utiliser le vélo électrique comme moyen de transport pour remplacer une partie des camions en ville. Les possibilités de progrès sont multiples pour ceux qui veulent les voir.

Des chercheurs ont calculé que l’ancienne ville industrielle de Cleveland (Ohio) pourrait utiliser les 3/4 de l’espace vert disponible (parcs, places, bords de route, parkings, jardins d’écoles et d’hôpitaux…) afin de subvenir à 100% de ses besoins en légumes, fruits, miels et à 90% de la demande en volaille et oeufs (mêmes les poules ont leur place en ville). Ainsi, le transport en poids lourd sera divisé par deux. Petit détail surprenant : le miel de ville est bien meilleur, car dans un environnement urbain la monoculture est plus rare. Si on sait que 80% des fermes dans le monde (455 milions au total) sont de 2 hectares ou moins, pourquoi utiliser la ville uniquement pour y vivre et y travailler, en repoussant les productions agricoles vers la campagne ? Le moteur de cette évolution de production agricole en ville ne sera pas un effet de mode mais bien une nécessité des populations.

L’entraide est le futur
Non, Thackara n’est pas un utopiste naïf. Il se base sur des chiffres et des faits, qu’il arrive à traduire en exemples concrets. Ses idées ne perdent pas leur enchantement à leur mise en pratique, comme c’est souvent le cas des idées révolutionnaires. Au contraire : certaines solutions décrites dans le livre sont plus qu’archisimples : il suffit d’ajuster notre vie sur une base locale, écologique et avant tout sociale. Tout cela est réalisable, pense Thackara, et la vie sur terre pourrait retrouver un second souffle.

Afin de s’y mettre, Thackara explique qu’un changement de paradigme social et culturel est nécessaire. Ce changement, il l’appele Utopia of sufficiency, l’utopie de la suffisance où avoir assez est largement suffisant. Car déjà de nos jours, des millions d’entrepreneurs dans le monde mènent leur entreprise avec 0% de croissance, même dans le Nord ‘riche’, sans pour autant vivre dans la pauvreté. D’où vient cette idée que seule la croissance peut nous rendre heureux ? Thackara préfère l’idée de l’homme bâtissant son avenir au sein des éléments auxquels il est intimement lié : l’air, l’eau, la terre, les plantes, les animaux. C’est un grand défenseur des biorégions : un nouveau concept politique et géographique permettant à différents groupes citoyens de gérer leur environnement de manière responsable. Thackara l’appelle Stewardship. Il ne s’agit pas de retourner à la belle époque de nature sauvage – cette idée new âge est dépassée – mais bien d’encourager l’implication de chacun dans son environnement local.

Il est clair pour Thackara que la solution ne viendra pas des décisionnaires politiques, mais des populations, par le biais de petites organisations de plus en plus nombreuses et de plus en plus puissantes. Leur avantage par rapport aux grandes structures est leur proximité à tout un chacun. Par exemple, pour notre système de santé, nous pourrions développer un plan d’action plus humain que le système actuel basé sur les médicaments et les scanners onéreux. Prendre soin de quelqu’un, plutôt que le traiter pour assurer son rétablissement immédiat, représenterait pour notre société une économie de 95% (!). En Chine, un plan d’épargne de santé a déjà été introduit : chaque heure que quelqu’un emploie à s’occuper d’un proche lui sera rendu par les générations futures.

Et les artistes ? Thackara veut les sortir de leurs habitudes pour qu’ils aient plus de rencontres réelles : plus d’interactions, moins de mises en scène. Le retour à notre côté sauvage est le médicament puissant de Thackara.